On disait autrefois de la Fagne, qu’il lui fallait une victime à engloutir chaque année.
En effet, cette zone marécageuse était particulièrement hostile.
A part la Baraque Michel qui avait vocation de point de repère, munie d’un clocheton qui permettait au badaud égaré de se repérer dans l’immensité des tourbières fagnardes, aucune habitation, aucune trace de civilisation ne permettait d’y trouver quelconque abri.
Encore de nos jours, il n’est pas rare que des randonneurs téméraires s’y égarent, faisant l’objet de l’un ou l’autre fait divers.
C’est bel et bien ce qui est arrivé en ce sinistre 21 janvier 1871.
C’est la véritable histoire d’un jeune couple de fiancés, qui se termina en tragédie au sommet du vaste plateau fagnard.
La jeune fille de 24 ans s’appelle Marie-Joseph. Marie-Joseph Solheid. Elle habite à Xhoffraix, à la porte des Hautes Fagnes mais elle travaille près de Limbourg, comme servante à la Ferme Niezette de Halloux, près de Hèvremont.
Le jeune homme s’appelle François. François Reiff. Il a 32 ans. Il habite Bastogne mais engagé dans la construction du Barrage de la Gileppe, voici quelques mois qu’il loge dans la région de Jalhay.
C’est justement à la kermesse de Jalhay qu’ils se rencontrèrent et tombèrent amoureux. Comme leur idylle se confirmait, ils décidèrent de se marier !
Leur impatience à concrétiser l’événement les conduisit dans leur funeste destinée.
François n’avait pas encore rencontré les parents de Marie. C’est aussi là où elle habite qu’il fallait se procurer les documents administratifs nécessaires à leur future union.
Leur mariage avait été fixé pour le printemps 1871 mais Marie avait décidé de profiter d’une journée de congé pour s’y rendre sur le champ.
Elle était habituée au chemin. Cela ne devait donc en principe poser aucun problème.
C’était sans compter sur le climat particulièrement capricieux de cet hiver 1871. L’un des plus terribles de la seconde moitié du 19è siècle. En plus d’une météo catastrophique, la guerre avait éclaté entre la France et la Prusse, ce qui conférait à cette période, une ambiance pour le moins sombre.
Malgré l’éclaircie se profilant, leurs amis tentèrent de les dissuader de se mettre en route.
Ils empruntèrent donc le chemin des Hautes Fagnes, qu’il fallait traverser pour se rendre à Xhoffraix, qui démarrait près de la Ferme Sagehomme à Bolimpont, en passant par la Croix Panhaus et la Baraque Michel.
Ils firent une halte au Café Mixhe, Rue de la Fagne, afin de s’y réchauffer quelque peu avant l’ascension vers le Haut Plateau.
Encore une fois, on leur déconseilla de poursuivre leur chemin, appréhendant une tempête de neige de derrière les fagots ! Têtus comme pas deux, les fiancés émoustillés et pris dans leur enthousiasme débordant décidèrent de poursuivre leur chemin ! Après tout, une douzaine de kilomètres n’était pas grand-chose pour l’habituée de la Fagne qu’était Marie et le courageux ouvrier qu’était François !
Cependant, la neige qui recouvrait les chemins de son épais manteau rendit le trajet nettement plus éprouvant qu’il n’y paraissait !
La tempête éclata. Un blizzard effroyable et glacial figea les amoureux dans leur avancée pénible. Le brouillard givrant vint brouiller complètement la piste devenue impraticable.
Perdus dans l’étendue hostile, congelée, épuisée, Marie s’effondra.
François, affolé mais lui aussi titubant continua seul afin de tenter de trouver quelques secours. Mais en vain. Lui aussi perdit pied quelques kilomètres plus loin, transi par la froidure, l’anéantissement psychique et la fatigue.
La Grande Fagne les avait engloutis. A hauteur du lieu-dit « Les Trous Brôli » devenu le théâtre de cette triste tragédie.
Le 13 mars 1871, à l’aube du printemps, lorsque la fagne était redevenue praticable, un garde forestier, Monsieur Manguette, fit l’horrible découverte dans les Biolètes Fagnes, à deux kilomètres de Solwaster. C’était le corps de François. Lui non plus ne put atteindre une zone habitée qui lui aurait permis de contacter les secours.
Quelques jours plus tard, un douanier allemand fit la seconde et funeste découverte au sud de la Fagne des Sarts Lehro, à deux kilomètres à peine de la Baraque Michel, près de la Borne-frontière 151, séparant la Belgique et la Prusse.
Le corps de Marie. François l’avait recouverte avec son manteau, avant de partir chercher du secours, dernier geste de protection pour son amoureuse.
On retrouva un billet écrit par lui, écrit péniblement au crayon. Il indiquait « Marie vient de mourir, et moi je vais le faire ». Une médaille à l’effigie de la Vierge Marie était accrochée à un buisson un peu plus loin, signe d’un ultime espoir d’attirer l’attention d’un sauveur.
Marie fut enterrée à Xhoffraix, dans son village natal. François à Sart, dans le cimetière qui entourait autrefois l’église.
Ainsi se termine la triste histoire de deux amoureux transis par l’amour puis ensuite par le froid, unis à jamais dans cette histoire sertie dans celle de l’inquiétant Plateau des Hautes Fagnes.